À Fos, le silence de l'État plane au-dessus des usines

20 novembre 2017 à 11h17 par sarah rios

RADIO CAMARGUE

Dans Erin Brockovitch, seule contre tous, le film de Steven Soderbergh inspiré d'une histoire vraie, une femme gouailleuse, montée sur mules, révélait un énorme scandale sanitaire et faisait plier une multinationale. Autour de l'étang de Berre (200 usines, une trentaine de sites classés Seveso 2), sans Julia Roberts, des habitants, des chercheurs et une poignée d'élus, tentent eux aussi de faire entendre "leur" silencieuse hécatombe : celle d'une population exposée depuis 40 ans à un cocktail de polluants unique en France.

Ce petit territoire concentre ainsi 20 % des émissions de particules PM10 et 13 % du benzène émis au niveau national ! Dans le centre-ville de Fos-sur-Mer, le taux des redoutables particules ultrafines (Puf) s'apparente "à ce que l'on retrouve dans un tunnel" tel que le Prado-Carénage, par exemple. Or, aucune réglementation ne les encadre encore. Quant à l'impact sanitaire de cette exposition chronique, des études (SirséPaca, Institut national de veille sanitaire) avaient bien alerté sur une possible "surmortalité liée aux maladies respiratoires, telles que le cancer du poumon", aux infarctus ou leucémies aiguës. Mais aucune n'avait reçu l'accueil médiatique d'Epseal, celle livrée en mars par la chercheuse américaine Barbara Allen. Des dizaines de reportages ont, depuis, été consacrés à cette enquête pointant la prévalence des maladies respiratoires (15,1 %), des cancers (11,8 %) et du diabète (11,6 %) dans la zone industrialo-portuaire de Fos et Port-Saint-Louis-du-Rhône. Soit deux fois plus que la moyenne française. "Quand je me suis installé ici, toutes les maladies rares s'étaient donné rendez-vous dans la salle d'attente", a ainsi déclaré à notre confrère de France Inter (1) le Dr Vincent Besin, généraliste de Port-Saint-Louis- du-Rhône, effaré face à la multiplication des pathologies.

Pourtant, l'État, comme l'ensemble des pouvoirs publics ne semblent toujours pas se saisir de ces données : "Les industriels ont toujours beau jeu de se réfugier derrière une réglementation qui ne prend pas en compte les Puf", décrit, amère, Véronique Granier, à l'Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions. Ce dernier révélera, début 2018, le résultat de sa propre enquête, l'ambitieuse Index, qui cherche à évaluer l'imprégnation aux polluants de 200 volontaires du territoire.

"Les premiers éléments sont très, très encourageants. Et ici, on perçoit un intérêt pour la science, une recherche de réponses parmi la population", se réjouit Philippe Chamaret, le directeur de l'Institut. S'il se félicite de l'amorce d'un "dialogue" avec l'Agence régionale de santé - qui avait cependant accueilli Epseal avec circonspection- il nuance aussi : "Les moyens, eux, ne sont pas là".

À Fos, tous les acteurs investis sur ce dossier très sensible appellent à une veille sanitaire accrue autour de Fos, à des mesures de prévention. Et à de nouvelles normes pour l'industrie : personne ici ne demande la fermeture des usines qui, autour de l'étang de Berre, font travailler 40 000 personnes. "Il faut mettre l'accent sur l'innovation. Car comme dans le cas du glyphosate, ce dossier interroge nos façons de produire et de consommer", pose encore Philippe Chamaret.

"Du côté de l'Etat, c'est le calme plat !"

C'est, bien plus qu'un coup de blues, "une grosse colère" qui ne l'a pas lâché de l'année. Président de l'association de défense et protection du littoral du Golfe de Fos, Daniel Moutet a montré aux journalistes de toute la France les inombrables photos de panaches de fumée qui planent sur sa commune ; il espérait beaucoup de cette exposition médiatique sans précédent. Mais pourtant... "c'est le calme plat là-haut, maugrée Daniel. On se fout de nous." "Là-haut", c'est l'État. La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, vient d'opposer une fin de non-recevoir à la demande de l'association, qui lui réclamait 10 000€ afin de pouvoir poursuivre l'analyse, en laboratoire, d'échantillons d'aliments AOC produits sur le territoire. Un travail d'abord entrepris sur les fonds propres de la structure et qui avait déjà révélé la présence de polluants dans la chaîne alimentaire. "C'est comme si la ministre s'en lavait les mains, elle botte en touche et nous renvoie sur le ministère de l'Agriculture ou de l'Environnement." Tenace, Daniel leur a aussi écrit. Ses courriers sont restés lettre morte.

Ce militant "espère encore", mais sent le "découragement" poindre ; dans ses réunions, l'assistance s'étiole, le fatalisme gagne. "On ne demande pas la fermeture des usines, bien au contraire ! Mais enfin, on est capables d'aller sur la Lune, comment est-il possible qu'on ne sache pas filtrer et recycler les fumées des usines ?" Cette année, Daniel a encore perdu deux copains : membres de son association, ancien de l'industrie, ils sont morts de cancers. À Fos, il n'est pas rare de croiser des habitants qui ont été frappés deux, trois fois par cette maladie. "Les particules ultra-fines nous tuent. Pourquoi l'État ne vient-il pas mener une étude épidémiologique d'envergure ?"

Source: Laprovence