Il aura suffi de deux appels téléphoniques, et d’un bon coup de pression. Monique* et André, un couple de quinquagénaires qui vit aux Cinq-Avenues (4e arrondissement de Marseille), ont décidé de raconter leur histoire "pour vaincre la honte et donner l’alerte", alors que le "spoofing", une arnaque au faux conseiller bancaire, leur a coûté près de 12 000 euros en quelques minutes, dépensés par les arnaqueurs dans des boutiques de luxe. Une technique qui atteint aujourd’hui des sommets dans les Bouches-du-Rhône, comme dans tout le pays.
Vrai colis, faux coursier
"En 2022, en France, sur 1,2 milliard d’euros de fraude aux moyens des paiements écrits (hors espèces), 340 millions ont été volés en impliquant une manipulation de la victime", confirme Clément Bourgeois, adjoint au chef du service des moyens de paiement scripturaux de la Banque de France, à Paris. Du côté des associations, l’UFC-Que Choisir voit la tendance se propager : "Sur 50 dossiers pris en charge les 12 derniers mois, près de la moitié concerne des manipulations par téléphone", dresse Ludovic Fernandez, le juriste du bureau marseillais de l’association.
Un banal après-midi d’été, André, traiteur à la retraite, pense recevoir un appel de son conseiller bancaire, enregistré parmi ses contacts, et dont il dit "reconnaître la voix". Au départ, rien d’anormal. Au contraire. L’homme au bout du fil, qui garde un ton "posé", prévient André que son Colissimo est bloqué dans le hangar d’un transporteur sous-traitant, dont les locaux existent bel et bien près de Marseille. Il suffira de débourser 1,70 euro sur internet pour programmer la livraison, proposée dès le lendemain matin. André, qui n’y voit aucun risque, renseigne ses coordonnées bancaires "sur ce qui semble être le site internet du transporteur", se rappelle-t-il, gardant sa femme au secret "pour ne pas l’inquiéter", et s’en félicite le lendemain en voyant son colis livré, comme prévu. Pour les manipulateurs, l’hameçon est planté, la confiance établie.
Quelques jours plus tard, second appel. Au bout du fil, la même personne. "Il me dit que des sommes ont été virées depuis nos comptes et qu’il faut lui donner mandat pour tout arrêter", expose André. Son interlocuteur l’avertit qu’un coursier est en chemin pour récupérer sa carte bancaire. Celui-ci arrive quelques minutes plus tard au volant d’un scooter électrique de marque allemande. En apparence, pas de quoi se méfier, puisque "le faux conseiller n’a jamais demandé aucun code" et "connaissait le montant sur notre compte courant", argue le Marseillais, déjà confronté à plusieurs types d’arnaques sur internet mais pas à celle-ci, par téléphone, qu’il voit comme "la plus vicieuse", puisque "tout le monde peut se faire avoir".
12 128 euros volés en quelques secondes
André tente néanmoins d’accéder une heure plus tard à ses comptes. L’un d’eux est presque vide mais peu importe : les sommes ont dû être mises à l’abri par le fidèle banquier. "J’ai appelé et je suis tombé sur mon vrai conseiller : il a compris avant moi ce qu’il s’était passé. La carte a servi dans des boutiques de luxe. Pour un total de 12 128 euros", lâche André, qui garde en travers de la gorge le fait d’avoir confié une partie de ses économies à un arnaqueur professionnel. "La clé, précise le juriste de l’UFC-Que-Choisir, c’est de recourir à des techniques psychologiques pour placer les victimes dans une situation stressante et urgente."
Si la justice a déjà estimé que les procédés manipulatoires utilisés par les escrocs peuvent abaisser le niveau de vigilance des victimes pour leur soutirer de l’argent illégalement, le fait de donner ses coordonnées bancaires, même en cas d’arnaque, a aussi été considéré par certains tribunaux comme une "négligence grave".
Pour prévenir ces arnaques, le projet MAN (pour "mécanisme d’authentification des numéros") porté par la Fédération française des télécoms va permettre de couper les appels non authentifiés à partir d’octobre, ce qui empêchera un fraudeur d’usurper le numéro d’une banque ou d’une autorité publique. Dans le même temps, des campagnes de prévention diffusent un principe de base. "Jamais un conseiller bancaire ne vous appellera pour vous demander d’effectuer ou de valider une quelconque opération ou vous demander des codes d’accès. Les banques bloquent d’elles-mêmes les flux qu’elles estiment douteux et n’ont pas besoin de l’intervention de leur client", énonce la Banque de France.
Dans le cas de Monique et André, ils ont décidé de porter plainte contre leur banque, "incapable de bloquer des paiements à plusieurs centaines d’euros chacun".
Source: Laprovence.com