[ CULTURE - SALIN DE GIRAUD ] À Salin-de-Giraud, l'histoire de La Baleine se raconte au pied des camelles

Pour célébrer les 90 ans de la marque de sel La Baleine, la compagnie des Salins du Midi a convié les habitants du village près des marais. Depuis 1934, les liens ont évolué mais sont toujours intacts.

Publié : 25 juillet 2024 à 14h23 par La Provence Embarek Foufa Rios


Mon arrière-arrière- grand-père a commencé à travailler aux Salins en 1893 ! Depuis, cela perdure de génération en génération, jusqu'à ma fille aujourd'hui. C'est une véritable fierté", clame le responsable des services généraux du groupe Salins, Gérald Picard. Preuve des liens inhérents, tissés et confortés au milieu des tonnes de sel récoltées, entre le village de Salin-de-Giraud et l'entreprise, basée à quelques centaines de mètres.


La Baleine, marque de sel de renommée mondiale, préférée des Français et inventée en Camargue, peut se targuer d'atteindre 500 millions d'euros de chiffre d'affaires. Pour son 90e anniversaire, c'est un retour aux sources. La semaine dernière, les Saliniers ont répondu à l'invitation lancée pour l'occasion. En voiture, à pied ou en navette spéciale, ils sont plusieurs centaines à se rendre au point d'observation des salins. Au programme : un cocktail, une scène musicale en accompagnement et un spectacle de drones une fois la nuit tombée. Une occasion en or pour les 2 000 habitants de se réunir autour de ce qui fait leur identité commune.


Créée à la fin du XIXe siècle, l'usine de Salin-de-Giraud comptait jusqu'à 500 ouvriers au début des années 1900. Trente-cinq salariés subsistent aujourd'hui sur le site d'origine d'une compagnie mondialisée, désormais implantée en Europe et en Afrique.



"Les Salins du Midi, c'est l'âme du village"


Entre les travailleurs du présent, ceux du passé et les autres habitants, une figure emblématique ne passe pas inaperçue. "Les Salins du Midi, c'est l'âme du village", confie Frédéric Garenq. Celui qui a été mécanicien dans la compagnie pendant 27 ans n'a pas résisté au plan social de 2008. Il raconte : "Le sel, c'est toute ma vie, et j'ai eu la chance de travailler dans un cadre aussi magnifique. J'allais même bosser à cheval, c'est fou ! Puis j'ai refusé une mutation à Aigues-Mortes. C'était trop loin d'ici." Sur le site gardois, 250 000 tonnes de sel sont produites et conditionnées à l'année. Une poignée sur les quatre millions de tonnes produites par le groupe salinier, qui emploie près de 2 500 personnes à travers le globe.


Après cet instant de voyage, retour à Salin-de-Giraud où Frédéric Garenq s'est lancé dans l'immobilier en continuant une certaine collaboration avec la compagnie. En charge de rénover des logements qui appartenaient aux Salins du Midi, puis de les louer. Seize ans après, il fait le bilan : "Je suis mon propre patron, je fais travailler des gens et ça marche incroyablement. Alors c'est fou, mais je les remercie de m'avoir licencié", sourit le gérant de l'entreprise Aux meubles camarguais.



On ne compte pas le nombre de fois où le salinier interrompt l'échange pour saluer quelqu'un. "Je suis plus connu que le maire ici !", plaisante celui dont la famille est affiliée à l'entreprise depuis son arrière-grand-père. Au milieu des vestiges de ce passé glorieux, l'avenir s'écrit avec le tourisme. Hubert François, directeur général des Salins du Midi, entend le développer, contrairement à ses prédécesseurs. "Je lui tire mon chapeau. Ce n'est que du positif, surtout pour les jeunes qui représentent l'avenir", dit Frédéric Garenq.


Autre enjeu majeur de notre temps, la préservation de la biodiversité en Camargue. "Il faut défendre cet espace riche qui doit rester dynamique face à ceux qui veulent que l'activité s'arrête ici", annonce Hubert François.


Pour rappel, le village de Salin-de-Giraud a été créé de toutes pièces par les compagnies Pechiney et Solvay, entre la seconde moitié du XIXe siècle et le début du XXe siècle. La première, ancêtre des Salins du Midi, était chargée de fournir le sel pour l'usine chimique gardoise de Salindres. Sur le même territoire, le chimiste belge Ernest Solvay a fondé un autre site industriel conçu pour utiliser le sel récolté afin de fabriquer du carbonate de soude. Une rivalité locale naît entre Solvay à l'ouest et les Salins du Midi à l'est, sous forme de guerre froide sur fond de sel. "Ils ne pouvaient pas se supporter et se tapaient dessus sans même savoir pourquoi", lance le cinéaste Jimmy-Paul Coti.




Un film en préparation


En même temps, Salin-de-Giraud devient un véritable carrefour de migrations. "Ouvriers nordistes, Grecs, Italiens, Russes... Les travailleurs sont venus de partout pour créer la petite Europe avant l'heure", précise le réalisateur indépendant. Une retraitée de 70 ans rembobine la boîte à souvenirs : "Les maisons étaient différentes entre les communautés. Des habitations qui ressemblaient à des maisons individuelles d'un côté, des corons de l'autre." Importée par Solvay, cette disposition faite de maisons construites en briques rouges et parfaitement alignées est typique du bassin minier. Pour figer l'histoire en mouvement de ce terreau surnommé "corons en Camargue", Jimmy-Paul Coti s'est lancé dans la réalisation d'un long-métrage. Avec images d'archives et témoignages de plusieurs dizaines d'incontournables de Salin-de-Giraud, il espère "fédérer tout le village".


Prévue cette année, la projection s'annonce immanquable. Comme la cerise sur le gâteau d'anniversaire de la Baleine.