[ ENVIRONNEMENT - FOS SUR MER ] "On sait que tout cela coûte très cher" : la décarbonation du golfe de Fos, entre enthousiasme et inquiétudes

Plus de 15 milliards d’euros doivent être investis dans des projets éoliens, solaires ou à hydrogène visant à décarboner nos industries et changer nos modes de consommation. Une révolution sur le Grand port maritime qui suscite enthousiasme, inquiétudes et mille questions.

Publié : 29 avril 2024 à 12h05 par François TONNEAU/laprovence.com Rios


Ils ont pour nom Provence Grand Large, H2V, Carbon ou GravitHy, HyVence, H2Med, Elyse ou Deos. Ils ne nous disent pas grand-chose. Mais génèrent inquiétudes et interrogations chez les plus curieux. Ils sont pour certains déjà en cours d’installation et les investissements qu’ils réclament, plus de 15 milliards d’euros, en disent long sur les enjeux qu’ils portent. Ces projets décarbonés d’éoliennes flottantes, de centrales solaires ou à hydrogène visent à révolutionner notre consommation d’énergies. Surtout, ils se concentrent à deux brasses de chez nous, dans le golfe de Fos.


C’est sur les terres vouées au pétrole et autres fossiles du Grand port maritime de Marseille que se mêlent l’enthousiasme des politiques, l’appétit des investisseurs et les questions les plus folles. "Après 40 ans de désindustrialisation, la transition climatique nous oblige à décarboner et produire davantage d’électricité", résumait Bruno Le Maire il y a quelques semaines à Manosque. Venu sonner la "mobilisation générale" pour créer une filière de l’énergie solaire en France, le ministre de l’Économie a fait de Fos l’une des deux premières "Zones industrielles bas carbone" (Zibac) de l’Hexagone. "On parle de solaire, de l’éolien, du nucléaire avec les futurs EPR et de l’hydrogène. On sait que tout cela coûte très cher, les chiffres me donnent le vertige. Mais on dépend encore à 60 % de nos énergies fossiles et on doit aller vers le renouvelable", souligne-t-il.




Alors qu’une ferme pilote de trois éoliennes s’apprête à tourner ses pâles au large de Fos, les projets avancent. Un parc offshore de 15 à 20 éoliennes doit naître à l’horizon 2029 à 22 kilomètres des mêmes côtes. Pour appuyer le dessein, le Grand port envisage, avec Deos, la création d’ici 2028 d’une plateforme de construction et de stockage de flotteurs.


Un "alignement des planètes"


En parallèle, le 18 avril, l’entreprise Carbon a déposé sa demande de permis de construire pour une giga-usine de panneaux solaires de haute qualité. Prévue pour ouvrir sur 45 hectares à Fos en 2026, elle vise la création de 3 000 emplois directs. "Il nous faut un écosystème comme le Grand port de Marseille pour rapatrier le solaire parti en Chine, souligne Pascal Richard, cofondateur de Carbon. Ici, l’alignement politique est parfait et l’impact énorme sur une zone où l’industrie émet plus de 10 millions de tonnes de CO². Fos c’est le palier le plus important sur lequel on peut agir". Géosel qui stocke les matières premières à Manosque, en est convaincue. Avec HyVence, elle vise à produire de l’hydrogène en couvrant de panneaux photovoltaïques deux étangs de la zone de Fos. Non sans réticences.



Avec les projets H2V, GravitHy ou Elyse, une PME qui conçoit des carburants synthétiques, l’hydrogène est l’autre usine à rêves de la décarbonation, même si son modèle est très coûteux. Tous s’appuient sur l’arrivée annoncée par Emmanuel Macron, d’ici 2030 au Cavaou, de H2Med, un pipeline espagnol transportant l’hydrogène vert. "Si on ne décarbone pas l’industrie, on pourra être sur une forme de décroissance, craint Martial Alvarez, maire de Port-Saint-Louis-du-Rhône. Il y a un alignement des planètes sur le territoire de Fos. Ce territoire est le mieux situé géographiquement pour servir de hub aux énergies renouvelables".


Il y a évidemment des réserves à cette rapide effervescence. D’abord, le marché du renouvelable part de très loin en France. "On a longtemps été exportateurs d’électricité grâce au nucléaire, souligne Jules Nyssen, président du syndicat des énergies renouvelables qui représente 540 entreprises en France. L’exigence de sobriété énergétique a entraîné une baisse de la consommation et le renouvelable n’apparaît pas si nécessaire, sauf volontarisme politique. En attendant le basculement vers l’hydrogène vert pour l’industrie et le tout voitures électriques, ça patine un peu".


D’autant que face à la puissance d’innovation et au dumping chinois, les Européens, mal protégés, souffrent. À Nantes, Systovi, un fabricant français de panneaux solaires, vient d’être placé en liquidation judiciaire. "Il n’y a pas de nouveau projet éolien en dehors de ce qui a été imaginé à l’horizon 2030. Une entreprise de Cherbourg, LM Wind, met la moitié de ses salariés au chômage technique", s’inquiète par ailleurs Clément Mochet, directeur de projets chez Eolymar, l’un des treize candidats à l’appel d’offres pour l’éolien flottant dans le golfe de Fos.


Il y a ensuite l’acceptabilité d’une telle révolution industrielle par les habitants. Les associations environnementales s’inquiètent des conséquences de cette industrialisation sur les sols et la biodiversité, tandis que des conflits d’usages émergent avec les pêcheurs ou les riverains. "Tous ces projets peuvent être une chance, mais je sens la population déconcertée et un manque de vision globale", pointe le député communiste de Martigues, Pierre Dharréville. Les infrastructures routières et ferroviaires ne sont pas visibles. "Nous manquons aussi de services publics, comme à l’hôpital de Martigues, pour accueillir ces investissements exceptionnels". Si les enquêtes publiques et réunions de concertation se multiplient, elles n’éclairent pas tout. "On mesure au quotidien combien il faut faire comprendre les choses à des gens soucieux des enjeux de santé publique, de maintien de l’emploi et de la qualité environnementale, souffle Martial Alvarez. C’est parfois épuisant et on sait que le courage est fluctuant chez les élus. Mais il y a un intérêt commun". Et si on lui trouvait un nom ?


 


SOURCE: LAPROVENCE.COM