[ JUSTICE ] En attendant son procès contre Carrefour pour rupture de contrat, l'agriculteur de Fourques "ne lâchera pas"
Boussad Aliouane a reçu de nombreux soutiens de toute la France. En attendant la date de son audience au tribunal de commerce de Caen, il poursuit sa production de légumes
Publié : 17 mars 2023 à 10h42 par Manon Variol
S’occuper les mains pour se vider l’esprit. En attendant que la justice s’enclenche, Boussad Aliouane veut rebondir. "On est en train de produire des pommes de terre et des courgettes. On a fait nous-mêmes nos semis, c’est moins cher. On ne veut pas emprunter à d’autres fournisseurs."
Une vague de soutien pour l'aider à avancer
Dans notre édition du 17 février, nous racontions l’histoire de cet agriculteur bio de Fourques, ruiné après une rupture de contrat de la part du groupe Carrefour. Un mois plus tard, Boussad et son épouse Véronique ont reçu de nombreuses marques de soutien, de voisins ou d’agriculteurs de toute la France. "L’agriculture, c’est un monde à part. Le ministère ne peut rien pour nous, on n’est pas couverts... Mais l’agriculteur n’est pas seul", souffle Boussad.
"Un fournisseur nous a donné quelques palettes d’engrais, un expéditeur de Châteaurenard veut travailler avec nous pour nos prochaines productions, le propriétaire de mes terres ne me fait pas payer la location, liste Boussad Aliouane, se souvenant des divers soutiens qu’il a reçus en quelques semaines. Mon voisin me prête son tracteur pour travailler les terres... Tout ça a amené des choses positives. On a même eu des appels de mes contacts à Rungis ou de personnes que je ne connais pas, qui travaillent au Min de Perpignan." Si les dettes continuent de peser sur le couple d’agriculteurs, l’épreuve est un peu moins difficile avec les soutiens de leurs pairs. "Tout ça nous a donné une force, ça redonne envie. Surtout de savoir qu’on n’est pas dans l’erreur."
Des projets malgré les difficultés
Pour payer ses fournisseurs, à qui il doit toujours régler de lourdes factures, Boussad vend son matériel, et se lance dans d’autres productions. Mais pour autant, il n’en oublie pas sa passion pour son fruit de prédilection. "Je compte reprendre la tomate cerise en 2024. Je ne lâcherai pas. On a montré que la France pouvait produire des tomates cerises. Ce qui est malheureux, c’est que ça part à l’étranger. Mais on doit continuer."
Toujours dans l’attente d’un procès au tribunal correctionnel de Caen, Boussad et Véronique serrent les dents. "On a compris comment Carrefour fonctionnait. Le groupe part sur le principe de nous épuiser sur le long terme, lance l’agriculteur. Je suis dégoûté, car pour moi, c’est avant tout l’amour de la terre. Mon père avait un potager. Il avait ses salades, ses tomates, ses piments, et tout était bio. J’ai grandi là-dedans. C’est là que j’ai appris à utiliser mes mains."
Pour autant, l’agriculteur est prêt à refaire confiance à d’autres marques de grande distribution pour ses prochaines productions. "Je ferai confiance, mais d’une autre manière. Je ne les mettrai pas tous dans le même panier, et je vais me diversifier", promet-il.
S’il n’a pas été contacté par le maire de Fourques, l’opposition a quant à elle montré son soutien à l’agriculteur. "J’aimerais ouvrir une cagnotte, si Véronique et Boussad sont d’accord. Ne serait-ce que pour les aider à payer le trajet jusqu’à Caen pour l’audience, explique Nadine Castellani, conseillère municipale du groupe Fourques ensemble. Je suis persuadée que les gens voudront participer."
Pour l’heure, ils n’en voient pas la fin. Mais Boussad et Véronique font des projets pour développer leur activité, peut-être avec de l’arboriculture. "On y croit. Mais c’est dur".
"Carrefour fait traîner les choses pour les épuiser", selon Yann Gillet, député RN du Gard
Dès la publication de leur histoire, le député RN de la première circonscription du Gard, Yoann Gillet, est venu visiter Boussad et Véronique Aliouane. "J’ai demandé une rencontre avec le groupe Carrefour, car je veux comprendre leur point de vue, explique le député. Ils ont parlé d’une erreur. Cela ressemble à un aveu : ils veulent faire traîner les choses pour les épuiser financièrement." Yoann Gillet aimerait proposer un accord au groupe, estimant qu’il "est encore temps" pour éviter d’aller jusqu’au tribunal. "Mais vu les montants en jeu, est-ce que Carrefour voudra discuter ?" se questionne-t-il. "Tout est question de délai, car il y a urgence."
Rappel des faits : un contrat à 1,75 million d’euros non respecté
Séduit par l’image "proche du producteur" que donne le groupe Carrefour dans ses communications, l’agriculteur fourquésien n’a pas hésité quand on lui a proposé un contrat. En 2021, Boussad Aliouane, sous la société Nature et bio, a produit 40 tonnes de tomates cerises bio pour Carrefour. Pour 2022, la représentante en voulait plus. "On leur a proposé 90 tonnes. Elle nous a dit qu’elle en voulait 350", se rappelle Véronique Aliouane, l’épouse de Boussad. Pour assurer le contrat, l’agriculteur a annulé ses accords avec ses autres clients, commandé toutes les semences de son fournisseur, doublé son équipe de saisonniers, travaillé jusqu’à minuit et livré les fruits par palettes à Plan-d’Orgon. Mais à la fin de l’été 2022, malgré un contrat pour 350 tonnes, la grande distribution n’a commandé que 23 tonnes de fruits. Sur les 1,75 million d’euros qu’aurait dû payer Carrefour selon le contrat, Nature et bio n’a donc touché que 120 000 €. Avec l’aide de leur avocat, Maitre Thibault Pomares, Boussad et Véronique ont assigné en référé face au tribunal de commerce la société Interdis, qui gère la centrale d’achats pour les distributeurs du groupe Carrefour. L’avocat de la défense a expliqué cela comme "une erreur de plume". À La Provence, le groupe a même affirmé que l’agriculteur "n’aurait pas pu fournir de telles quantités". Le tribunal de commerce de Tarascon s’est déclaré incompétent, laissant l’affaire au tribunal de Caen, où siège le groupe Carrefour. La date de l’audience n’a pas encore été communiquée.
Source: laprovence.com