Les tellines n'en finissent pas de disparaître en Camargue.

Publié : 24 août 2020 à 8h42 par Patrick MONROE

La raréfaction du petit coquillage, très recherché, oblige certains pêcheurs à changer de métier.


Voilà vingt ans que tout le monde sonne l'alerte : dans les bancs de sable de la côte camarguaise, les populations de tellines ne cessent de s'amoindrir. "Il y a tellement peu de tellines en ce moment que je travaille ailleurs, je cherche un CDI", témoigne Olivier Aupy, pêcheur de tellines.


"Ça fait des années que tout le monde alerte et personne ne fait rien, fulmine Valérie Graulou. La moitié des pêcheurs ne s'en sort plus." Si elle a arrêté de tirer le tellinier, son fils et son mari vivent du coquillage, comme ses parents avant lui. Elle vend le fruit de la pêche de son époux sur le marché d'Arles depuis 35 ans. Mais ce dernier, comme son fils, attend que les tellines se fassent plus nombreuses avant de repartir remuer les bancs de sable des Saintes. Si l'on en croit les chiffres avancés par les pêcheurs, de 100 kg de tellines ramassées en une pêche il y a plus de 20 ans, on serait passé à 5 à 6 kg aujourd'hui. C'est au cours des années 2000 que cette diminution a commencé à sérieusement inquiéter. De 2007 à 2009, on serait déjà passé de 400 à 100 tonnes ramassées annuellement.


Le braconnage en cause


Surtout, la ressource ne se renouvelle plus. Valérie Graulou remarque que "février était une bonne période, il y avait un petit regain. Comme après les coups de mer. Mais plus maintenant. Il faudrait fermer la pêche pendant un moment pour laisser le temps aux coquillages de se reproduire, et pas seulement un mois ou deux."


Les affaires maritimes, conscientes du constat, diminuent depuis des années le nombre de licences accordées pour la pêche du petit coquillage. En 2003 par exemple, 130 pêcheurs vivaient de la telline, licence en poche. En 2008, les affaires maritimes n'ont délivré que 90 licences et 76 en 2009. Aujourd'hui, on en compte une soixantaine. Et désormais, beaucoup de pêcheurs, comme Olivier Aupy, raccrochent d'eux-mêmes.


La cause de la disparition des tellines ne semble être un secret pour personne. Bien sûr, on peut interroger les facteurs environnementaux, la telline étant un coquillage "très sensible aux changements de températures et de salinité de l'eau" comme le rappelle Olivier Aupy. Changements qui ont effectivement lieu aujourd'hui, du fait du dérèglement climatique. Mais tout le monde s'accorde à pointer un facteur bien plus déterminant : la surpêche. Car les prix sont appétissants. En quelques décennies, le kilo de tellines est passé de 2 € à plus de 10 €. "Pendant quinze ans on a laissé faire. Les gens en faisaient des poubelles entières" résume Jean-Claude Benoît, prud'homme pêcheur à Martigues. Et les mauvaises pratiques, même si elles ont été identifiées et sont condamnées par la loi, n'ont jamais vraiment cessé. Valérie Graulou donne quelques exemples : "Dans la mer, au-delà des bancs de sable, il y a ce qu'on appelle les fosses. C'est là qu'on trouve les grosses, les mères pondeuses. Les gens sont partis les pêcher, avec des échasses d'1,60 m. C'est interdit. Et s'il n'y a plus de mères, il n'y a plus de pontes. Certains pêchent aussi de nuit, parfois avec des bateaux. Alors que la pêche n'est autorisée que de jour, à pied." Les cas de pêcheurs ne déclarant pas la totalité de leurs prises et dépassant le quota légal (aujourd'hui fixé à 20 kg par jour) ont aussi été fréquemment observés.


Trop peu de contrôles


Il faut aussi, voire surtout pointer la pêche de tellines juvéniles, de moins de 2,5 cm (taille qui constitue la maille réglementaire). "Certains trient sur le sable, et jettent les petites sans les remettre à la mer. Si elles meurent avant de se reproduire, comment voulez-vous qu'il continue à y avoir des tellines ? C'est de la logique !" s'insurge encore Valérie Graulou. Mais aujourd'hui, la raréfaction de la ressource pousse à prendre davantage soin de ces jeunes... sans les épargner. "Les tellines se vendent de plus en plus petites, remarque Jean-Claude Benoît. Il n'y a qu'à aller au restaurant pour le voir. Même chez Métro, on vend de la telline qui ne fait pas la maille."


Et les contrôles ? "Il y en a très peu, regrette le prud'homme pêcheur. Surtout maintenant, avec le Covid, on ne voit presque plus les gendarmes et les gardes maritimes."



[SOURCE / LA PROVENCE]