[ POLITIQUE/JUSTICE ] Marché des Gitans aux Saintes-Maries-de-la-Mer : le nouveau bras de fer
Des associations de forains gens du voyage refusent de se déplacer à l'entrée du village durant le pèlerinage et annoncent des actions. La mairie campe sur ses positions
Publié : 12 mai 2023 à 10h51 par Olivier LEMIERRE et Laurent RUGIERO Rios
Crédit : Valérie Farine
Au début du mois, la mairie des Saintes-Maries-de-la-Mer lançait un appel à candidature aux marchands forains qui souhaitent pratiquer leurs activités pendant le pèlerinage. Elle précisait dans son communiqué que "cette année, pour le pèlerinage de Mai, la place des Gitans mettra à l'honneur la culture gitane et des gens du voyage sous toutes ses formes : chants et musiques traditionnelles, marché, veillées et prières... Une partie de la place étant occupée par les travaux de l'hôtel de ville, le marché des gens du voyage se situera sur deux sites : la place des Gitans, du 18 au 23 mai, de 8h à 18h, accueillera prioritairement une trentaine de vendeurs traditionnels qui mettront en avant les produits et savoir-faire ancestraux de la communauté tsigane : rempailleurs, couteliers, tenues de cérémonies, sabots, paniers.... Et l'espace Georges-Pompidou, du 18 au 25 mai, de 8h à 18h, accueillera une centaine de vendeurs non-alimentaires spécialisés dans la vente des produits utiles et nécessaires au quotidien des gens du voyage. Avec le marché sur deux sites, de nombreuses places sont disponibles".
L'an dernier, la maire, Christelle Aillet, avait dû renoncer au transfert du marché gitan à l'entrée de la ville face à la mobilisation et la pression de certains forains qui avaient fait le forcing. La sous-préfète lui ayant demandé, en fin de compte, de les laisser s'installer sur la place des Gitans. Yohan Salles, président du Comité des Tsiganes de la région Paca avait pris la tête de la "révolte", et n'a pas changé de point de vue. "Les Gitans sont mis hors de la place pour être remplacés par des déballeurs folkloriques, des métiers d'autrefois... Les "vrais" Gitans sont mis en périphérie. Pour nous, c'est une fois de trop. Nous avons le droit à notre place entière au pèlerinage des Saintes. Nous refusons l'antitsiganisme !"
La Licra écrit à la maire
Yohan Salles a contacté la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme), qui a adressé un courrier à la maire en date du 4 mai : "Une telle délocalisation du marché priverait les habitants de la commune et les communautés tsiganes de la portée symbolique que revêt l'organisation de cette manifestation en centre-ville, mais aussi les visiteurs d'un accès facilité à un événement historique et touristique qui fait partie du patrimoine culturel national et local. Comme vous le savez, les manifestations culturelles et le pèlerinage organisés chaque année sur la commune des Saintes-Maries revêtent une importance pédagogique certaine, car elles contribuent à mettre en lumière la culture gitane et tsigane mais aussi les pans de l'histoire de France notamment le sort tragique de cette communauté. Nous tenons à cet égard rappeler que le génocide des Tsiganes reconnu par le gouvernement en 2016 est encore largement méconnu et peu commémoré. Il nous apparaît donc important que la commune des Saintes-Maries-de-la-Mer puisse continuer à honorer ces traditions à la fois populaires et historiques et ainsi participer au devoir de mémoire qui s'impose à notre pays, s'inscrivant ainsi en tant que ville pionnière dans l'intégration des communautés tsiganes comme composante de l'histoire de France en leur permettant de perpétuer leurs traditions qui contribuent au rayonnement culturel local". La Licra se dit donc soucieuse de voir un événement comme le marché des Gitans "continuer à trouver sa place au coeur de la cité, et non pas à sa périphérie, ce qui amoindrirait considérablement le message". La Ligue conclut son courrier en proposant une rencontre à Christelle Aillet.
"Nous ne pouvons vérifier qui est Gitan ou pas"
Mais du côté de la mairie, on indique n'avoir pas de trace de ce courrier et de cette demande de rencontre la Licra, et on assume le choix de réserver les emplacements sur la place des Gitans aux vendeurs de produits traditionnels, aux savoir-faire ancestraux de gens du voyage, comme les rempailleurs, les couteliers, les marchands de sabots... "Pour des raisons de sécurité que nous demande l'État, nous devons laisser de la place aux véhicules légers et aux piétons. On ne peut donc pas avoir le marché entier à côté. De plus, nous réhabilitons la mairie, ce qui prend bien sûr de la place. Enfin, nous avons besoin d'espace pour installer un podium ou peuvent se produire des artistes. La priorité c'est la sécurité des gens", martèle la maire.
"Nous avons proposé à M. Salles d'être l'organisateur du marché gitan mais il a refusé... Pour ce qui est des exposants des activités ancestrales et culturelles sur la place des Gitans, nous ne pouvons pas vérifier qui est Gitan et qui ne l'est pas, c'est anticonstitutionnel... Nous avons fait une publication sur internet, et nous verrons bien qui nous répond", précise-t-on au cabinet du maire.
L'Association nationale des gens du voyage citoyens, elle, exprime "sa profonde indignation". "La mairie souhaite remplacer les Gitans par des non-Gitans qui joueront aux Gitans !, dénonce Nelly Debart. Nous venons pour honorer nos croyances religieuses, notre culture et notre histoire, pas pour être remplacés par une version édulcorée de ce que nous sommes".
Yoann Salles compte bien mettre la pression en organisant des opérations escargot ce mardi 16 mai sur la route d'Arles, aux Saintes-Maries. Le même jour, l'ANGVC appelle à une manifestation sur la place des Gitans.
La municipalité des Saintes-Maries-de-la-Mer a subi un revers judiciaire hier matin, au moment où le tribunal administratif de Marseille, saisi en référé la veille par le Syndicat des commerçants des marchés de France Marseille-Provence et quelques commerçants non-sédentaires en leur nom propre, a décidé de suspendre l'interdiction des marchés bihebdomadaires qu'elle avait prise pour le mois de mai. C'est par un texto reçu sur leur smartphone que les vendeurs et artisans qui déballent habituellement le lundi et le vendredi sur la place des Gitans avaient appris qu'ils devraient s'abstenir de le faire à partir du 8 mai, et jusqu'au 29.
Un choix aussitôt contesté par les principaux concernés, pour qui cela représentait un manque à gagner important. La justice leur a donc donné raison, et ce, d'autant plus facilement, que la mairie n'avait pas jugé utile d'être représentée pour faire entendre ses arguments à la juge. "En raison du pèlerinage des gens du voyage", se contentait d'indiquer le SMS évoqué plus haut, tandis qu'une carrière équestre était aménagée sur la place des Gitans.
Hier, le tribunal administratif a simplement maintenu l'interdiction des marchés du 19 et du 22 mai, qui tombaient la semaine où la municipalité veut y accueillir des "métiers traditionnels gitans" (lire ci-dessus). Tous les autres, à commencer par celui d'aujourd'hui, sont donc rétablis. "Cette décision nous convient parfaitement, car elle concilie les demandes de mes clients avec les attentes de la communauté gitane", commentait Me David Dokhan, avocat des demandeurs.
À l'heure où nous bouclions cette édition, hier soir, la municipalité n'avait pas encore publié le communiqué annoncé dès le début de l'après-midi pour faire connaître sa position. On imagine que chaque mot devait être soigneusement pesé...
Patrick Gontard, lui, n'avait pas attendu pour se réjouir du camouflet infligé à la maire, Christelle Aillet. "Il fallait que cette mascarade s'arrête, pilonnait le principal opposant au conseil municipal. Avec l'écho médiatique généré par cette affaire, nous étions devenus la risée de tout le monde, c'était tragique ! Nous sommes face à une incohérence totale, nous n'avons pas besoin de ça."
Soulignant encore que "le marché est un point d'attrait touristique pour la ville", Patrick Gontard promet qu'il va "demander des comptes" : "parce que tous ces blocs de béton dans les rues et tout ce sable sur la place, ce ne sont pas des choix neutres financièrement, c'est le contribuable qui paye !"
Une commémoration le 23 mai à Saliers
Yohan Salles invite la communauté tsigane, les gens du voyage et tous les citoyens à venir le 23 mai au mémorial de Saliers pour honorer la mémoire des internés du camp de Saliers. "Cette commémoration est d'autant plus importante cette année avec ce qui se passe aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Nous avons envoyé les invitations. La sous-préfète ne viendra pas... Dans ce camp de Saliers, les Tsiganes ont été enfermés durant la Seconde Guerre mondiale sur ordre du sous-préfet Jean Desvalière. On regrette le manque de soutien de l'État à notre communauté".