[ SANTE - MARTIGUES ] Une crise qui alarme les soignants, à Martigues le service des urgences du centre hospitalier à flux tendu

Plus de 50 000 personnes y sont accueillies sur l’année, et ce chiffre ne cesse de croître. Un "problème d’envergure" pour le Dr André Bazille, chef du service qui incite les patients à privilégier les soins de ville lorsque cela est possible.

14 août 2024 à 12h26 par Marion GRENES /Laprovence.com

Le 9 août, nous avons pu suivre durant quelques heures le quotidien des soignants du service des urgences du centre hospitalier. L’été pas encore terminé, un diagnostic s’impose. 


Les urgences, confrontées à un afflux de patients et à un manque de lits d’hospitalisation, peinent à faire face à la demande. Accueil, tri des malades souvent âgés, interventions 24 heures sur 24, la tension est palpable et l’équation quasi-impossible : comment soigner correctement plus de patients avec un personnel souvent débordé ?


La question se pose. Martigues ne fait en effet pas exception à la règle, avec une fréquentation en hausse constante. Le service enregistre en 51 000 passages par an contre 35 000 auparavant. Pour les équipes qui dénoncent un système de santé mal-en-point, une solution : repenser la définition de l’urgence pour éviter que le qualité des soins se détériore.



"Les journées se suivent mais ne se ressemblent pas. Vous allez être surpris, aujourd’hui, c’est calme", souffle le Dr André Mazille, chef du service des urgences, le regard encore alerte après une nuit de garde.


Ce matin-là, pas de couloirs encombrés de brancards ni de malades qui sont à bout de nerfs. Toute l’activité semble "s’être concentrée" les jours précédents. À raison de 130 patients par jour en moyenne durant l’été, le rythme est soutenu dans ce service hospitalier qui doit en plus des "locaux", faire face à l’affluence touristique.


Dans la main des médecins, au poste de soins surnommé "l’aquarium", les dossiers de patients avec leur motif d’admission après un premier passage dans le sas d’accueil : de la "bobologie", néologisme parfois barbare pour désigner les petits traumatismes pour lesquels le cabinet d’un médecin généraliste n’est pas forcément équipé, mais pas que…


Des suspicions d’infarctus, d’accidents vasculaires cérébraux. Certains sont examinés plus rapidement que d’autres. "Je sais qu’il faut compter environ trois heures pour être vu", raconte cet homme souffrant de douleurs à l’estomac.


Françoise, qui s’est soudain trouvée mal, ne se plaint pas, malgré ces heures passées sur un brancard : "Les soignants ont fait ce qu’ils ont pu pour moi, le problème, c’est qu’il faut trouver maintenant une place à l’étage." Juliette 19 ans, accompagnée de sa maman, estime avoir eu de la chance : "J’ai eu ce matin mal aux reins. On s’est tout de suite occupée de moi."



Ses paroles vont droit au cœur de Laura, aide-soignante : "Elle va mieux, heureusement. C’est aussi ça le sentiment du devoir accompli pour nos malades. C’est mon carburant pour avancer."


"Urgences, ce n’est pas tout, tout de suite"


C’est bien "ce qui fait le sel de ce métier, ne jamais savoir de quoi demain sera fait", répète à l’envi le Dr Mazille, avant de rentrer chez lui. Il glisse d’emblée qu’aucun de ses trois enfants "n’a souhaité faire médecine". Il ne le dit pas trop fort, mais il regretterait presque le temps où le mot "urgences" prenait tout son sens. Le ton est trempé dans une douce amertume.


Si vous attendiez une vision sans complaisance de son quotidien à écouter et à panser toutes sortes de maux, il est sans aucun doute la bonne personne. "Les gens confondent encore trop malheureusement ’urgences’ avec ’tout de suite’", explique le praticien hospitalier en montrant les box de consultations, ceux dédiés à la réanimation et les chambres de l’unité d’hospitalisation de courte durée.


L’endroit, tient-il à rappeler, n’est pas fait pour "s’y attarder". Il est destiné "aux patients ayant besoin d’examens, de soins" pour vingt-quatre à quarante-huit heures maximum.


Pour lui, pas de doute, il faut axer le soin sur la pédagogie. "Il est courant de mettre les embouteillages aux urgences sur le dos des personnes qui viennent ici sans en avoir besoin. Il n’est pas question de stigmatiser telle ou telle personne, car cela n’est pas de leur faute, mais certaines d’entre elles devraient être prises en charge par un médecin de ville".



Comme partout, la crise des urgences touche de plein fouet l’établissement martégal, de plus en plus seul sur le territoire pour accueillir des malades toujours aussi nombreux, mais également vieillissants :


"Le nombre de personnes prises en charge explose, de 35 000 à 51 000 passages par an. C’est beaucoup quand on sait qu’environ huit postes de médecins urgentistes ne sont pas pourvus. Le nombre de médecins intérimaires supposés effectuer des remplacements pendant les congés scolaires a baissé depuis le passage de la loi qui plafonne leur rémunération. Cela crée des situations inacceptables. C’est une question de dignité humaine, quand les brancards s’entassent en épi dans les couloirs du service."


Mathieu, infirmier, qui plaide pour des soins "efficaces et rapides" acquiesce : "À certains moments de la journée, le service déborde. Il faut avoir en tête cet équilibre entre ceux qui entrent et ceux qui sortent. La conséquence, c’est que certains patients restent aux urgences dans l’inconfort, le bruit, l’agitation, la lumière. Ça fait mal au cœur". 



Sur le terrain, des solutions ?


Des solutions ? Les acteurs du monde médical l’assurent, ils en ont. Un tri en amont ? Le Dr Stéphane Luigi, urgentiste à l’hôpital de Martigues, estime que cette piste est parfois difficile à mettre en place.


"Les urgences voient débarquer des malades de toutes sortes. Sans compter les personnes âgées, isolées. Tout le monde s’y retrouve donc, y compris des gens qui n’ont rien à y faire. Mais on ne peut pas dire aux gens, ne venez pas car ce n’est pas grave. Il faut bien examiner la personne avant de savoir justement si c’est grave ou pas grave."


Il plaide en revanche pour davantage de permanences médicales en ville pour désengorger les urgences.


"Les besoins augmentent partout et cela devient un entonnoir. Les urgences sont le témoin direct de la gravité du phénomène. On le voit par exemple, à Pertuis, à Manosque où les urgences sont fermées la nuit par manque de personnel. Il faut privilégier les centres de consultation quand on peut, pour éviter d’attendre longtemps."


Interrogé, le directeur du centre hospitalier de Martigues, Loïc Mondolini explique que "les pouvoirs publics ont quand même pris en considération le fait que la prise en charge des personnes âgées dans les urgences était un enjeu crucial. Il y a des dispositifs qui existent aujourd’hui avec, ici, à Martigues, la mise en place d’une équipe de coordination médicale composée d’un médecin gériatre et d’une infirmière. Notre souhait : que les personnes âgées ne passent pas forcément par les urgences. À ce jour, ça marche plutôt bien."


 


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