[ ECONOMIE/SOCIETE - FOS SUR MER ] Ascometal de Fos : les contours d'un projet de reprise estimé à 600 millions d’euros

Le sidérurgiste italien a formulé une offre de reprise pour le site provençal dont le groupe a été placé en redressement judiciaire. Les dirigeants du potentiel acquéreur en livrent le détail.

Publié : 10 mai 2024 à 12h10 par Mathias LLORET /laprovence.com

Ascometal de Fos : les contours d'un projet de reprise estimé à 600 millions d’euros
Ascometal de Fos : les contours d'un projet de reprise estimé à 600 millions d’euros
Crédit : Roberto Treccani

Deux offres ont été déposées le 27 avril dernier pour la reprise du site Ascometal de Fos-sur-Mer, dont le groupe a été placé en redressement judiciaire un mois plus tôt, et peuvent être améliorées jusqu’au 27 mai. La société d’investissement britannique Greybull Capital et le groupe industriel italien Marcegaglia sont à l’origine des deux offres. Les dirigeants de cette dernière entité, Emma et son frère Antonio Marcegaglia, enfants du fondateur du sidérurgiste, rencontreront les salariés de Fos mardi prochain. Ils ont répondu aux questions de La Provence. Plus à l’aise en français, c’est Antonio qui s’est exprimé.

Pourquoi avez-vous formulé une offre de reprise ?

De par la dimension de notre groupe et nos besoins (4,5 millions de tonnes d’acier au carbone et d’environ 1 million de tonnes d’acier inoxydable), nous devons disposer de notre propre production d’acier. Parmi la matière que nous achetons, la moitié vient d’Europe et nous voulons moins dépendre de fournisseurs trop lointains.

À Fos, nous pourrions transformer en coils l’acier produit en brames, activité que nous sous-traitons auprès d’un fournisseur. Cela nous apporterait plus de sûreté et de stabilité dans notre chaîne, réduirait notre capital circulant et serait stratégique d’un point de vue géopolitique en régionalisant les marchés et la décarbonation de l’industrie. Ce site correspond parfaitement à ce que l’on veut développer en termes de dimensions mais aussi de logistique, avec le port qui est très important pour nous.

De quand date ce projet ?

Cette réflexion stratégique date de plusieurs années mais a pris une forme plus concrète et sérieuse depuis un an. Nous sommes en contact avec Swiss Steel (propriétaire d’Ascometal) depuis décembre 2023, mais le placement en redressement judiciaire a accéléré le processus.

La décarbonation que vous évoquez est, notamment, très dépendante d’une ligne très haute tension. Est-ce une condition à votre reprise ?

Non, mais on a demandé l’assurance de la disponibilité de l’énergie suffisante à l’électrification du site. Cela sera donc lié à d’autres projets. D’ailleurs, le projet GravitHy est très important pour une décarbonation totale et efficace.

Vous souhaitez donc transformer l’activité actuelle de Fos. Comment cela se passera ?

Il y a trois parties sur ce site : l’aciérie, le laminoir de barre et le laminoir à fil. Nous pensons que l’activité la plus importante est l’aciérie qui est sous-utilisée. On veut investir pour augmenter la capacité du transformateur et produire beaucoup plus, en passant à 1 million de tonnes au moins contre 200 000 aujourd’hui. En revanche, l’activité du fil n’a pas de futur et on pense l’arrêter dès le début. Ce projet se construit sur trois ans, d’ici-là, on va continuer la production en améliorant la productivité.

Sur les 323 salariés du site, combien en garderiez-vous ?

Après la réalisation de notre projet, si on produit entre 1 et 1,2 million de tonnes d’acier et que nous transformons de 600 à 800 000 tonnes, on emploiera sûrement plus de monde qu’actuellement, entre 360 et 380 personnes, peut-être plus. Pour y parvenir, il faut bien gérer ces trois ans. Nous pensons que 250 salariés sont nécessaires. Mais on essaie toujours d’avoir une meilleure vision commerciale et de voir si on peut améliorer cela et comment.

Sur quoi pouvez-vous agir ?

On va suivre les indications du gouvernement, des institutions et de l’administrateur judiciaire. On va regarder le niveau d’emploi pour mieux comprendre le contexte commercial et organisationnel du site. On aura davantage d’informations dans les prochaines semaines. On veut aussi être sûrs que les conditions de réalisation de notre projet seront bien mises en place.

À combien se chiffre ce projet ?

Nous pensons que 600 millions d’euros d’investissement sont nécessaires pour améliorer l’aciérie, installer une coulée continue, un laminoir à chaud et tout le reste.

Comment pouvez-vous rassurer les salariés qui vivent un troisième redressement judiciaire en dix ans ?

Je leur dis : "Regardez notre histoire, notre bilan, notre place dans l’industrie, nos succès dans nos acquisitions un peu partout dans le monde, notre projet industriel rationnel. Marcegaglia a, dans son ADN, a une vision à long terme industrielle, pas financière. Il n’y a pas de risque technologique, économique, de compétence ou commercial. C’est la force de notre projet.

Si ce n’est pas Fos, avez-vous d’autres projets ?

Il y a d’autres possibilités, mais Fos est notre priorité.

Marcegaglia, un groupe qui pèse 7,8 milliards d’euros

Le groupe Marcegaglia a été fondé en 1959 par Steno Marcegaglia qui, souhaitant se lancer dans l’entreprenariat, a commencé par fabriquer des rails de volets roulants.

Décédé il y a dix ans, à 83 ans, il était "un self-made-man", comme le décrivent ses enfants, Emma et Antonio, désormais PDG après être entrés dans la société lorsqu’ils avaient 27 ans et avoir travaillé avec lui pendant 37 ans.

Des petits profilés en acier, le groupe s’est ensuite rapidement développé en élargissant sa gamme sidérurgique par l’acquisition de différents sites en Italie d’abord, puis partout dans le monde. Il en détient aujourd’hui 36, emploie 7500 personnes et affiche un chiffre d’affaires de 7,8 milliards d’euros en 2023. "On a doublé la taille du groupe en dix ans", confient ses enfants. Marcegaglia aujourd’hui est l’un des leaders mondiaux de la transformation de l’acier.

L'avis des syndicats : "Notre demande n’a pas bougé : aucun licenciement"

En période d’amélioration des offres, chaque mot compte. Alors, quand François Barges, représentant CGT d’Ascometal à Fos, analyse les offres de reprises, ceux qui en sont à l’origine attendent son verdict. C’est le cas des représentants de l’industriel italien Marcegaglia, qui se rendront, la semaine prochaine, à l’usine fosséenne pour rencontrer les salariés. Et il faudra qu’ils se montrent convaincants car, pour l’heure, leur projet ne correspond pas totalement aux attentes des partenaires sociaux. "Notre demande n’a pas bougé : ce que nous voulons, c’est zéro licenciement, rappelle fermement François Barges, quand Marcegaglia compte conserver 250 des 323 employés actuels. On manque déjà de salariés et on fait appel à des intérimaires. Il faut bien dimensionner le périmètre de l’emploi. Nous ne sommes pas contre le projet Marcegaglia, mais sur ce volet-là, il ne nous satisfait pas."

 

L’intersyndicale d’Ascometal à Fos affiche clairement son message. 

D’autres aspects laissent le syndicaliste perplexe. Car le groupe transalpin souhaite transformer en profondeur l’activité du sidérurgiste placé en redressement judiciaire. "La période de transition nous inquiète, poursuit le cégétiste. Elle va induire une baisse de volumes importante pendant les quinze mois de la continuation de l’activité. Que deviendront les salariés ? Que feront-ils ?"

Marcegaglia souhaite basculer sur la fabrication d’acier plat, quand Ascometal le produit actuellement en lingots. Et il veut, à très court terme, arrêter la production de fil. Et ça, ça bloque aussi. "Pour nous, c’est prématuré, estime François Barges. Il faut donner une autre chance à ce produit, il y a des clients et il y a un marché, mais il faut vendre au juste prix. Nous produisons environ 3 000 tonnes de fil par mois, si on les enlève, les volumes ne sont plus les mêmes. Il faut aller chercher des clients, développer le service commercial. Ce secteur a encore un avenir."

Mardi, Antonio et Emma Marcegaglia auront l’occasion de rassurer les salariés, les convaincre du bien-fondé de leur projet. Ils pourront au moins essayer.