[ JUSTICE ] Bouches-du-Rhône : le fisc épingle 7 224 piscines non déclarées

Grâce à l'intelligence artificielle, les impôts ont pu détecter la bagatelle de 7 244 piscines non déclarées dans le département. Et ça n'est que le premier étage de la fusée : tout le bâti est dans le viseur !

Publié : 20 mars 2023 à 9h48 par Romain CAPDEPON

[ JUSTICE ] Bouches-du-Rhône : le fisc épingle 7 224 piscines non déclarées
Crédit : D.R

Alerte rouge : l'administration fiscale vient de mettre un pied dans le futur. L'impact financier, lui, est bien ancré dans le présent, et va même gratter dans un passé proche. Alors que pendant des décennies, certains ont pu construire aouf des piscines dans leur jardin, foulant aux pieds les règles d'urbanisme et s'asseyant sur la hausse de la taxe foncière qu'engendre ce petit luxe, voici donc que la fête est finie...

"C'est une démarche générale d'augmentation de l'utilisation des nouvelles technologies dont l'intelligence artificielle (IA)", cadre sobrement Catherine Brigant, la directrice régionale Paca des finances publiques (DGFIP). Message subliminal : les impôts ont dégainé l'arme de redressement massif ! Dès octobre 2021 et pendant une année, l'administration a testé cette opération baptisée "Foncier innovant" sur neuf départements, dont celui des Bouches-du-Rhône. Et le résultat des courses est effarant : alors que 97 667 étaient déclarées dans le département, l'IA est allée en détecter pas moins de 8 000, passées jusque-là sous les radars, dont 7 244 ont fait l'objet d'un rappel fiscal, soit un taux 7,4 % de fraudeurs. À titre de comparaison, sur un volume global de bassins quasi similaire, c'est deux fois plus que dans le Var.

Une fraude massive et plutôt surprenante, voire "gagne-petit", puisque selon le fisc la surtaxe s'élève en moyenne à 250 euros par an, pour des ouvrages dont la facture, même sur des superficies modestes, grimpe rapidement au-delà de 10 000 euros. "La plupart du temps, ces fraudeurs au fisc n'ont d'abord pas fait la déclaration préalable auprès de leur mairie, ça va souvent de pair...", assure la spécialiste.

 

Une "fuite en avant" qui servirait notamment à éviter la taxe d'aménagement qui, elle, s'avère très salée : 250 euros par mètre carré, soit 6 000 euros pour une piscine de 4 mètres par 6... "Avant, on avait les photos aériennes de l'IGN (l'institut national de l'information géographique et forestière) et nos fichiers mais on n'avait pas ce qui permettait de recouper tout cela, de passer au tamis tout le contentieux", détaille la patronne de la DGFIP Paca.

Concrètement, l'intelligence artificielle a d'abord relevé une flopée d'anomalies. "La machine nous dit : là il y a quelque chose que je n'ai pas dans les fichiers et qui ressemble fort à une piscine. À partir de là, on envoie ce qu'on appelle une relance au propriétaire. Dans 60 % des cas, on a un retour. Ensuite, nos agents géomètres se penchent sur les cas litigieux, et cela nécessite parfois même une petite enquête de terrain... Puisqu'on est sur du déclaratif, c'est une démarche contradictoire, mais quand on n'a aucune réponse, au bout de deux mois la taxation d'office tombe..."

Rien que grâce aux 7 244 piscines fantômes découvertes dans les Bouches-du-Rhône, le fisc a récupéré, au titre de l'année 2022, un peu plus d'1,8 million d'euros (plus de 4 millions sur les neuf départements tests) et quasiment 3 millions en rétroactif sur les Bouches-du-Rhône (5,6 millions sur l'opération globale). "En effet, on remonte au maximum sur quatre années, sauf si le propriétaire nous prouve par A+ B qu'il a fait construire sa piscine entre-temps. On fera ce type de contrôles assez régulièrement..." Second message à mots à peine couverts : plus personne ne passera entre les mailles du filet. "On a un petit sport qui se développe : afin que depuis le ciel le bleu de l'eau ne saute pas aux yeux, certains mettent des bâches type camouflage, mais ils doivent savoir que ça ne marche pas !", sourit Catherine Brigant, dont l'administration joue, dans cette démarche, le rôle de prestataire pour les communes, et autres collectivités territoriales, qui bénéficient à 100 % des recouvrements via la taxe foncière (et la taxe d'habitation qui existe toujours pour les résidences secondaires). "C'est de l'équité fiscale et sociale que nous faisons. On ne peut pas demander, légitimement, des services publics locaux de qualité et ne pas payer les impôts qui les financent..."

Au vu de la réussite de ce test grandeur nature sur les piscines, le dispositif vient d'être élargi à tout le territoire. Il est déjà à l'étude pour s'attaquer au reste du bâti (lire ci-dessous). Dans un sourire, la directrice régionale du fisc lâche : "Il y a certainement des choses à faire..."

L'avis des piscinistes

Joseph, le patron d'Art déco piscine, est clair : "Sans déclaration préalable effectuée en mairie par le client, on n'entame pas les travaux. Je sais que d'autres le font mais nous, on estime qu'on a un devoir de conseil". Même son de cloche chez Piscine Neptune : "Le risque, quand on accepte ce genre de chantier, c'est de voir les travaux être arrêtés en plein milieu si par exemple un voisin dénonce les travaux et que les règles d'urbanisme ne sont pas respectées. Ça n'est pas du tout dans notre intérêt et concernant la déclaration aux impôts on a aussi un devoir de sachant, ça fait partie de notre discours de base de rappeler qu'un bassin de plus de 10 m² doit être déclaré..."

Pour autant, si les services des impôts ont découvert 7 244 piscines non déclarées dans le département, c'est bien que des milliers de Bucco-rhodaniens ont construit leur piscine "au black", ou avec l'aide de professionnels peu regardants. "Honnêtement, cet énorme nombre de piscines non déclarées ne m'étonne pas, le système D à la marseillaise marche encore bien !, reprend le gérant d'Art déco piscine, on le sent bien que certains clients sont réticents à toute démarche administrative quand on n'a aucun retour à nos devis dans lesquels on demande la déclaration préalable ! D'ailleurs on nous pose tout le temps la question de savoir de combien augmentera la taxe foncière mais le calcul est tellement complexe qu'on est bien incapable de le dire aux clients ! Parfois, dans la même rue et pour la même piscine, on n'a pas la même incidence... Du coup, on a depuis 4-5 ans un petit boom des petits bassins, de moins de 10 m², notamment pour éviter la hausse d'impôts mais aussi parce que les superficies des parcelles diminuent peu à peu à Marseille".

Bientôt la traque au bâti non déclaré

Cette opération ciblée sur les bassins n'était que le premier étage de la fusée. "Pour dire vrai, j'ai été étonnée par le nombre de piscines non déclarées et il est probable que, sur le reste du bâti, ça sera un bon exercice de remise à niveau des bases foncières !", assure "sans faire de procès en diablerie" la directrice régionale du fisc. L'administration devrait en effet s'atteler à épingler les additions de constructions illégales comme des terrasses, des abris de jardins conséquents, des élévations d'étages, des appentis, des cuisines fermées, des vérandas, qui n'auraient fait l'objet d'aucune déclaration et donc d'aucune imposition. "Une chose est sûre, nous sommes déterminés à faire notre maximum pour rétablir une équité au profit de l'impôt local", assure la DGFIP Paca. Une volonté qui n'est pas sans séduire l'adjointe au maire de Marseille en charge de l'urbanisme : "Je vois d'un très bon oeil que l'État se saisisse de ce problème et nous aide à remettre des règles sur ce territoire, lâche Mathilde Chaboche, son action vient s'ajouter au renforcement que nous avons impulsé de notre service de contrôle des infractions et à la délibération prise au conseil municipal de décembre dernier, et qui vient de prendre effet, laquelle permet d'infliger une astreinte journalière de 500 euros à des propriétaires qui ne sont pas diligents quand on leur demande d'ajuster voire de détruire une construction illicite. Ça vaut pour les particuliers et leurs maisons individuelles mais malheureusement c'est le sport favori de certains professionnels également". Entre le fisc et la Ville, les deux lames risquent de laisser très peu de place aux filous : "Et je peux vous garantir qu'il n'y a aucun filtrage politique. Je ne sais pas ce qui se faisait avant, mais si un élu de n'importe quel bord, ou si un acteur économique de poids venait à être épinglé, tout le monde sera logé à la même enseigne... Il y a un effet de contournement fiscal mais il y a aussi des gens qui savent que leurs travaux ne seraient pas acceptés par mon service de l'urbanisme et cela peut représenter un danger pour les voisins notamment, et leur habitation..." Chaque année, les services de l'adjointe reçoivent environ 400 signalements. "En 2022, 300 ont été avérés et régularisés, détaille Mathilde Chaboche, et je ne doute pas que ces signalements ne représentent qu'une petite partie de l'étendue des fraudes..."

 Source: laprovence.com