[ SOCIETE - CHATEAURENARD ] "Plus rien ne se vend" : l’inquiétude des agriculteurs au MIN de Châteaurenard

Importations toujours conséquentes, contexte politique et social très incertain : les maraîchers et producteurs de fruits de la région ne parviennent pas à tirer profit de leur travail. Ce mercredi, nous avons assisté à la vente de gré à gré organisée très tôt le matin. Témoignages.

4 juillet 2024 à 10h18 par Laurent BLANCHARD /laprovence.com

"Plus rien ne se vend" : l’inquiétude des agriculteurs au MIN de Châteaurenard

Sur le carreau. Au propre comme au figuré. Très tôt, chaque matin, des dizaines d'agriculteurs convergent vers le carreau du MIN de Châteaurenard, en provenance du Nord des Bouches-du-Rhône, du Vaucluse, du Gard ou de la Drôme, et ils en repartent, un peu plus tard, sans avoir, pour la plupart d'entre-eux, accompli de juteuses affaires avec leurs produits restés sur le... carreau. "Personne n'achète, déplore Vincent venu de Redessan, c'est vraiment la galère." "C'est la catastrophe", se désole même Pascale productrice de poires sur Graveson. "Plus rien ne se vend ou, alors, si peu et à très bas prix", a-t-on encore souvent entendu, ce mercredi matin, de part et d'autre des travées de la vente de gré à gré. 

Les expéditeurs défilent devant les caisses exposées par les producteurs et ils sont peu nombreux à noircir leur carnet de commandes. "Après avoir acheté de pleines palettes d'Espagne à des prix extrêmement bas, beaucoup, en lien avec les GMS (grandes et moyennes surfaces des supermarchés et hypermarchés, NDLR) viennent seulement compléter leurs commandes au MIN avec quelques plateaux estampillés Provence, signale ce producteur de fruits installé à Tarascon. Cet hiver, nous nous étions mobilisés pour que ce système cesse, mais le laxisme perdure en France dans bien des domaines et dans le nôtre en particulier. C'est du n'importe quoi."

"De la poudre aux yeux !"

Un arboriculteur a réussi à vendre un peu de ses fruits, mais pour ça, il lui a fallu casser les prix. Autant dire que la négociation lui a juste permis de rentabiliser son investissement sur le coup. Mais les bénéfices, ce n'est pas pour aujourd'hui, une fois de plus.

"Quelle est la profession, en France, où l'on se lève à 3h30 du matin pour ne pas gagner sa vie, ou si peu, en bossant toute la journée ?", interroge Romain Blanchard, président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) des Bouches-du-Rhône, présent sur le MIN de Châto, ce mercredi matin. La réponse ne fait pas mystère : "La nôtre", enchaîne-t-il.

Au cœur de l’hiver, le MIN de Châteaurenard avait été l'un des terrains de la lutte d'un monde agricole remonté comme jamais. Plongé dans une situation économique désastreuse, celui-ci avait multiplié les manifestations de mécontentement à travers le territoire, une colère qui s'était dupliquée à échelle nationale. Mis sous pression, le gouvernement Attal avait sorti le carnet à réformes pour apaiser les esprits. "De la poudre aux yeux !", lâche-t-on, quatre mois plus tard, à Châteaurenard.

"Des fruits espagnols partout"

"Rien n'a changé, développe Vincent qui, à 5h30 du mat', prend un dernier café à la petite terrasse improvisée de la brasserie du MIN, avant d'aller poser deux caisses de pêches nectarines - échantillons de sa production venue du Gard - dans une des travées dédiées aux ventes. Les politiques au pouvoir avaient promis de modifier la donne, mais ils ont continué à s'en foutre. Les importations sont toujours aussi conséquentes qu'avant. C'est même pire. Il y a notamment des fruits espagnols partout. Le vide en matière de gouvernance occasionné par la dissolution de l'Assemblée nationale a mis à l'arrêt un plan de réformes qui, de toute façon, n'avançait pas dans le bon sens." Celui que le gouvernement macroniste s'était engagé à suivre.

Aussi, le cours des prix des produits étrangers, nettement en deçà de la norme, continue de déséquilibrer le marché.

"Le problème ne vient pas seulement des produits venant d'Espagne, du Portugal, de Roumanie ou d'autres pays européens, alerte Denis agriculteur à Noves. Des poires d'Argentine sont en passe d'arriver massivement sur le sol français, alors que nous nous apprêtons à avoir une énorme récolte, cette année." Un comble. "Il faudrait mettre un terme aux importations non nécessaires quand nous entrons en période de production, suggère Laurent maraîcher à Saint-Rémy. Cette concurrence irraisonnée continue de nous mettre à mal."

"Il y aura des fermetures d'exploitations"

Le contexte actuel n'aide pas non plus. Outre une météo automnale, les législatives constituent un frein à l'entrain des consommateurs. "Cette séquence politique influe concrètement sur la santé mentale et l'envie des Français qui, à l'heure actuelle, sont stressés et pour acheter, il ne faut pas l'être, analyse Denis. Pour consommer, il faut être serein." "Les gens ont peur, suppose, justement, Vincent. En fonction des résultats de ces élections, ils craignent de ne plus avoir les moyens de vivre correctement et, déjà impactés par une forte baisse du pouvoir d'achat, ils préfèrent, donc, se restreindre à dépenser peu." Et c’est encore moins de ressources pour les agriculteurs.

"Si on n'engrange pas de revenus, on n'est pas en capacité de réinvestir. On est donc en train de plier boutique et de s'enterrer les uns après les autres, s'inquiète encore Vincent en nous montrant le carreau du MIN. Moi, j'ai connu le marché plein; maintenant, il n'y a plus personne." "C'est bien simple, annonce Denis, à la fin de cette saison, il y aura des fermetures d'exploitations, c'est une certitude." Des paysans seront sur le carreau pour de bon.